L'Atlas global : nos assiettes ne sont pas si mondialisées
Publié aux Éditions des Arènes, l'atlas global est un essai en images, conçu par une équipe de vingt-six historiens et géographes de renom. Extrait.
La planète alimentaire est partagée en deux grands modèles concurrents : l'un dont le bras est armé par l'industrie, l'autre qui reste attaché à des valeurs paysannes. Sagit-il pour autant d'une bataille culinaire ?
A la place des systèmes alimentaires des agronomes et des économistes, on plaide pour une géographie des cultures alimentaires donnant une répartition raisonnée des manières de manger dominantes et de leurs dynamiques.
Deux grands pôles ont été constitués depuis plusieurs millénaires avec un noyau chinois et un noyau au Moyen- Orient : dans les deux cas, les populations paysannes ont travaillé depuis des millénaires à la culture des céréales auxquelles on a ajouté, lors de repas cérémoniels, les viandes issues de pratiques sacrificielles et religieuses. Ces deux noyaux ont donné naissance à des cuisines sophistiquées, contrôlées par des médecines très élaborées. Certaines d’entre elles sont devenues de grandes gastronomies où les manières de manger ont pu confiner à de l’art.
Ces systèmes ont rayonné alentour de leur bassin d’origine auquel sont adossés des pôles secondaires autour de la Chine, comme l’Inde ou le Japon en Asie, mais aussi, récemment, en Europe avec les pays scandinaves ou l’Espagne, qui deviennent de hauts lieux « gastronomiques ». Dans ces systèmes, les repas restent des moments quasi sacrés qui accompagnent la vie familiale, les fêtes calendaires et les événements sociaux. Au nord du monde tempéré, s’est constitué un autre pôle largement industrialisé aujourd’hui. Ses origines sont dans la sphère mongole, où l’élevage était la ressource de base et a fabriqué un rapport utilitaire à l’animal. Cette culture carnée a gagné l’Europe à la faveur des invasions du premier millénaire. Le capitalisme marchand d’Europe et d’Amérique du Nord l’a transformé en filière très lucrative de viande industrielle.
Graphique : A table !
Fabriquant des produits de masse diffusés dans les villes par des réseaux de commerce très efficaces, l’industrie a gagné tous les pays du monde. Mais elle bute en Afrique sur un niveau de vie trop faible, un rejet culturel en Inde et dans certaines sphères sociales européennes et asiatiques. Stigmatisées pour leur responsabilité dans la progression des maladies cardiovasculaires et neurodégénératives, les cancers et le diabète, les nourritures industrielles ont fait émerger des contre-modèles dont les teikei* japonais, les terroirs français et les CSA (community supported agriculture) américains sont les parangons. Dans les marges subdésertiques chaudes ou froides où l’agriculture est difficilement praticable, les populations riches adoptent les modèles industriels (pays du Golfe, peuple inuit). À l’opposé, les pays en développement (du Sahel à l’Asie centrale) gardent des systèmes d’élevage qui restent précaires. Dans les régions équatoriales de l’Amérique latine, de l’Afrique et de l’Asie, subsistent des îlots d’alimentation vivrière soumise aux à-coups d’une vie politique et économique chaotique. Sur notre planète alimentaire, la mondialisation est très loin d’avoir gagné la partie.
Gilles Fumey
*Le Teikei (提携 ) est un système d'association pour le maintien d'une agriculture paysanne (AMAP) au Japon où les consommateurs achètent la nourriture directement aux agriculteurs.
Le Teikei est étroitement associée à une agriculture biologique locale à petite échelle, à but non lucratif, basé sur des partenariats entre producteurs et consommateurs. Des millions de consommateurs japonais participent au Teikei. Il est largement cité comme étant à l'origine de l'agriculture soutenue par la communauté à travers le monde.
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