Comme toutes les recherches à caractère historique, l'histoire de la cartographie est liée aux documents qui nous sont parvenus. Au départ, les premières cartes étaient établies sur papyrus et parchemins, donc très fragiles. Puis jusqu'au XVIIe siècle, les vieilles cartes étaient traditionnellement récupérées pour en faire des reliures. Sous cette forme, de nombreuses cartes anciennes ont été redécouvertes. On ne peut ainsi réellement établir qu'une histoire "fragmentée" de la cartographie. Il a pu exister, en particulier dans l'antiquité, des cartes bien meilleures ou plus anciennes que celles que nous connaissons.
1- L'effort de l'Antiquité :
Les hommes ont utilisé des cartes depuisla plus lointaine antiquité, probablement avant même l'invention de l'écriture. Certains dessins découverts dans des grottes préhistoriques pourraient bien constituer des croquis de leurs territoires.
Plus pratiques, on retrouve dès 30 siècles avant notre ère, des tablettes d'argiles sur lesquelles étaient gravées des itinéraires. La carte se présente ainsi comme un objet utilitaire ; les Phéniciens décrivent précisément les côtes qu'ils fréquentent mais aussi un objet conceptuel ; une représentation du monde.
Babylone et sa région
1. Le golfe persique est dessiné comme une rivière encerclant le monde.
2. Le rectangle supérieur représente Babylone.
3. Les ronds autour de Babylone situent des villes.
4. Le rectangle inférieur représente les régions marécageuses du sud de la Mésopotamie.
5. Les fleuves Euphrate et Tigre coulent vers le golfe Persique.
6. Les triangles au-dela du cercle montrent l'existence de régions mystérieuses.
Égyptiens et Chaldéens semblent avoir été réellement les premiers à essayer de représenter ce que leur offrait l'observation immédiate de la Terre : on a retrouvé des fragments de plans faits sur des tablettes d'argiles à partir de mesures directes sur le sol.
A cette époque ils ne paraissent pas avoir encore d'opinion bien nette sur la forme de la Terre.
En revanche, chez les Grecs, apparait la géographie mathématique et, avec elle, les premières théories sur la forme de la Terre. Pour Thalès de Milet -Θαλής- (env. 625-547 av. JC) la Terre aurait été semblable à un navire flottant sur un immense océan.
Thalès de Milet
Son contemporain Anaximandre -Ἀναξίμανδρος- (610- env.-547 av.JC) donne à la Terre une forme cylindrique. Il aurait été la première personne à publier une carte du monde.
Anaximandre
Il est certain qu’à cette époque, des cartes locales avaient déjà fait leur apparition, notamment en Égypte, en Lybie, au Moyen-Orient et à Babylone. Elles indiquaient des routes, des villes, des frontières ou des formations géologiques. L’innovation d’Anaximandre est d’en avoir dessiné une représentation de l'ensemble de la terre habitée telle que les Grecs la connaissaient à cette époque.
Carte du Monde d'Anaximandre
Anaximène et Anaxagore imaginent la Terre sous forme d'un disque flottant dans les airs et autour duquel tournent les astres.
Ce n'est que Pythagore -Πυθαγόρας- (569-470 av. JC) qui affirma le premier que la Terre est ronde car la sphère étant la forme parfaite, l'univers en général ne peut être que sphérique : chaque planète est située sur un cercle.
Pythagore
Cette théorie "des sphères célestes" s'appuyait principalement sur le fait que lors des éclipses de lune, l'ombre de la Terre y apparait circulaire. En conséquence, les Grecs couvrirent la Terre sphérique d'un réseau de parallèles et de méridiens, et essayèrent d'estimer la longueur des grands cercles.
C'est Eratosthène (276-194 av. JC) qui en fit la plus remarquable mesure tant au point de vue de la technique expérimentale qu'au point de vue du résultat obtenu.
Carte du monde d'Eratosthène
Il constata que lors du solstice d'été, un poteau vertical gnomon (nom du plus simple cadran solaire comme par exemple un bâton planté verticalement dans le sol) à Assouan ne portait pas d'ombre, tandis qu'à Alexandrie en Égypte, le même poteau en portait. Cela signifiait qu'à Assouan la distance zénithale du soleil en culmination était nulle, tandis qu'à Alexandrie il l'estima à 1/50e de circonférence. Il mesura la distance séparant les deux villes qu'il estimait être sur le même méridien, et la multipliant par 50, obtint en stades, pour la longueur d'un méridien, une valeur de 39 690 km !
Au IIème siècle après JC, Ptolémée dirigea la rédaction de 26 cartes, dont une carte générale de la Méditerranée, qui devait être découverte au XVIe siècle et reproduite avec ses erreurs jusqu'au XVIIe siècle.
Carte générale de la Méditerranée de Ptolémée [Extrait]
Les Romains semblent avoir complété la connaissance du monde indo-méditerranéen et d'Europe occidentale dans le cadre des besoins de l'Empire, mais ne paraissent pas avoir apporté de progrès théorique important. Il est vrai que nous n'avons de leur œuvre cartographique qu'un seul témoin, les tables de Peutinger.
Table de Peutinger [extrait]
La table de
Peutinger est l'ancêtre des cartes routières. Elle représente schématiquement les principales routes de l'
Empire Romain. C'est une reproduction probablement très inexacte de la fin du XII
e siècle d'une copie réalisée vers 350 dont l'original est plus ancien. Cette carte a été découverte au début du XVI
e siècle à
Worms et confiée à
Konrad Peutinger qui la publia.
L'estuaire de la Gironde est représenté en foncé (on peut lire -difficilement - "sinus aquitanicus" c'est à dire "la baie d'Aquitaine"). Les doubles tours représentent une étape importante : on reconnaît ici Burtegalo (Bordeaux), Vesonna (Périgueux), Aginnum (Agen), etc... Les tracés rouges représentent les routes avec, en chiffres romains, les distances en milles (1mille romain = 1478,5 m). Sont également mentionnées des peuplades importantes : Bituriges, Cadurci (région de Cahors), etc...
Tout cet effort de l'Antiquité s'efface alors dans "
l'obscurantisme" du haut Moyen-âge. La diminution des relations inter-régionales s'accompagne d'une quasi-disparition des besoins de cartes et de la pensée cartographique. Ce ne sera qu'avec les grandes découvertes du XVI
e siècle que renaîtra la géographie mathématique et autre.
2- La stagnation de la science cartographie au Moyen-âge :
La seule exception importante nous est offerte par les travaux
arabes. Au IX
e siècle,
le calife Al-Mamoun (786-833) fit mesurer une différence de latitude en
Mésopotamie, mais il ne semble pas que les méthodes arabes aient réellement progressé par rapport aux méthodes grecques.
Quand aux ouvrages
chinois, ils demeurèrent inconnus de l'Occident : ils n'étaient pourtant pas inexistants : l'astronome
Su-Song utilisait pour ses cartes célestes (1086-1094) les projections polaires, et pour deux cartes des régions équatoriales, la projection qui sera appelée au XVI
e siècle en Europe du nom de
Gerardus Mercator.
La plus ancienne carte imprimée du Moyen-âge date de 1280: c'est la Mappa Mundi de Hereford. C'est la seule carte du monde médiéval, de grand format, qui ait été conservée et conçue pour être exposée au public. Elle est très différente des cartes du monde telles que nous les concevons aujourd’hui, dans la mesure où elle n’indique pas seulement la situation des localités et des particularités géographiques, mais joue le rôle d’une encyclopédie visuelle en donnant des informations historiques (notamment sur l’Antiquité biblique et classique), ainsi que des informations anthropologiques, ethnographiques et théologiques. Elle est d’une importance essentielle pour notre compréhension de la cartographie et de la perception de l’espace médiéval.
Mappa Mundi de Hereford
Si les progrès théoriques sont ralentis en Occident, des réalisations à but pratique ont vu le jour. C'est le cas du Domesday-book (1086), sorte de cadastre, des comtés anglais, rédigé en français. Sous le règne de Guillaume le Conquérent, le roi fit exécuter cet état de ses terres pour déterminer les redevances de ses vassaux. Parvenu jusqu'à nous, il constitue un exceptionnel document d'utilisation du sol au haut Moyen-âge.
Au XIIe siècle, on se contente généralement de recopier des cartes anciennes sans améliorer pour cela les techniques de représentation. La carte du monde établie par Hereford est bien moins bonne que les cartes grecques. La carte anglaise de Paris s'inspire de celle de Ptolémée, probablement par l'intermédiaire de copies romaines disparues.
La carte dite de Gough (l'auteur est inconnu) qui figure la Grande-Bretagne et date de 1335 est la plus détaillée ; elle représente routes et villages en perspective, les eaux en bleu, les toits en rouge, et semble donc à l'origine des chartes graphiques traditionnellement employées dans les cartes actuelles.
Carte de Gough [extrait]
Le développemment précoce de la cartographie anglaise médiévale semble en rapport avec l'effort d'organistation administrative des Plantagenets. Pendant toute cette période, il n'y a pas d'orientation conventionnelle des cartes : l'Eglise incline à placer l'est en haut des cartes (carte de Gough), alors que les arabes y mettent le Sud. Seul Paris a placé le nord en haut de sa carte.
La fin du Moyen-âge apporte pourtant sa contibrution aux progrès de la cartographie. Au XVIe siècle apparaissent des cartes marines : les Portulans figurent le tracé détaillé des côtes. Le nom des ports est placé obliquement par rapport à celles-ci, d'où le terme portugais qui désigne ses cartes.
Fragment du portulan de Juan de la Cosa (1500)
Les latitudes des ports y sont à peu près correctes ; en effet la détermination de la latitude était assurée par les marins du Moyen-âge à l'aide de deux instruments : le bâton de Jacob, hérité des Grecs, appelé également arbalète, et l'astrolabe de mer, héritée des arabes.
Le bâton de Jacob L'astrolabe
Ancêtre du sextant, ces deux appareils permettaient, par visée, la mesure de la distance zénithale. Le nord des Portulans est placé en haut. Ils sont parcourus de droites courantes dont on ignore l'utilité, ils n'ont pas d'échelles strictes et celle-ci semblent varier en fonction des dimensions des peaux utilisées comme parchemin.
Sources :
- Travaux pratiques de géographie de J. Tricart, M. Rochefort et S. Rimbert aux éditions SEDES