Géographe et maître de conférences à l’université de Savoie, Lionel Laslaz travaille sur les régions de montagnes. La protection de la nature est révélatrice des sociétés qui la mettent en oeuvre. Cette carte historique des parcs nationaux raconte aussi bien la domination et la colonisation de l’espace que le respect de la nature.
Comment apparaissent les premiers parcs ?
La protection de la nature reste un phénomène récent,même s’il y avait déjà des espaces réservés avant, comme les réserves de chasse, la protection des forêts pour l’exploitation du bois. Le premier parc, le type le plus emblématique d’espace protégé, apparaît aux Etats-Unis à Yellowstone [Wyoming, ndlr] en 1872, dans les Rocheuses. A la même période, d’autres sont établis au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande et en Afrique du Sud où une réserve est créée dès 1899 qui deviendra le parc national Kruger en 1926.
Le phénomène est essentiellement anglo-saxon jusqu’au début du XXe siècle.
Pourquoi d’abord chez les Anglo-Saxons ?
Les espaces protégés sont des constructions par des sociétés qui y projettent un certain nombre de valeurs, de croyances ou demythes. Ce n’est pas un phénomène permanent, c’est une prise de conscience progressive. Donc, cette protection se fait selon des critères sociétaux. C’est ce qu’explique un sociologue comme Jean Viard, dans son ouvrage le Tiers Espace (1990), où il montre le rôle central de la religion dans ce domaine. Le protestantisme, majoritaire dans l’espace anglo-saxon, reviendrait à placer l’homme et la nature sur un pied d’égalité, alors que le catholicisme instaurerait plutôt un rapport de domination de l’homme sur la nature. C’est une hypothèse qui se vérifie plus oumoins bien. Par exemple l’Italie, pays du catholicisme, fut dès 1922 l’un des premiers, après la Suède protestante, àmettre enoeuvre une politique de protection de la nature avec le Grand Paradis. C’est aussi le cas de l’Irlande.
Comment le phénomène s’est-il étendu ?
Certains pays ont hérité d’une conservation de la nature d’abord par le biais de la colonisation. Ainsi l’Algérie a-t-elle disposé de ses premiers parcs nationaux au début du XXe siècle, tandis que le premier en France n’était inauguré qu’en 1963. Les Européens ont utilisé leurs colonies comme « bancs d’essai » de leur politique de protection de l’environnement, plus facilement mise en oeuvre dans leurs colonies qu’en métropole.
La nature et l’espace interviennent aussi ?
En effet, les politiques environnementales se mettent souvent en place dans des pays relativement « neufs ». Ils ne disposent pas d’un patrimoine historique majeur et surinvestissent dans leur patrimoine naturel. Ils disposent souvent d’espaces très vastes avec une faible densité humaine, 33 millions d’habitants au Canada aujourd’hui par exemple, et bien moins à l’époque de la création des parcs. La notion de wilderness est typiquement nord-américaine, elle ne tient pas compte des populations qui ont précédé les Européens sur ces territoires qu’ils considèrent comme « sauvages ». Le plus vaste espace protégé se trouve au Groenland, la péninsule arabique abrite le deuxième plus étendu au monde, 640000 km², supérieur à la superficie de la France, ce qui peut s’expliquer aussi par une très faible densité humaine.
Pourtant, certaines régions peu peuplées ont créé des parcs très tardivement ?
En Asie centrale, les indépendances, qui résultent de l’éclatement de l’ex-URSS, sont très récentes. En Afrique, les créations d’espaces protégés se multiplient après les indépendances ; pour les nouveaux gouvernements, c’est une façon d’affirmer leur souveraineté et de revendiquer une certaine forme de reconnaissance internationale.
La politique joue donc aussi un rôle ?
Bien sûr, la nature des régimes intervient également, un système autoritaire va parfois sanctuariser un espace pour des raisons économiques, politiques ou ethniques, et cela avec des moyens forts de coercition. Ces régimes utilisent parfois ce prétexte pour sédentariser des populations nomades ou, à l’inverse, exclure des populations sédentaires, ce que l’on appelle le « déguerpissement ». Un espace protégé est une création politique.
Recueilli par Catherine Calvet
A lire
- Atlas des espaces protégés, Les sociétés face à la nature de L. Laslaz (Dir.) - S. Depraz - S. Guyot - S. Héritier, cartographie et infographies d'Alexandre Nicolas, aux Éditions Autrement, 2012
- Le tiers espace, essais sur la nature de Jean Viard, aux Éditions Méridiens Klincksieck, 2001
- La Meije, un haut-lieux alpin, de L. Laslaz, aux Éditions Gap, 2007