La menace Poutine : les trois États baltes demandent la présence permanente de l’OTAN...
Mindaugas Neimontas, le porte-parole du ministre de la défense lituanien a défendu récemment sa demande d’obtention de troupes permanentes de l’OTAN en avançant qu’il en allait de la sécurité de son pays.
Atlantico : Cette demande de déploiement vis-à-vis de l’OTAN est ancienne, pour quelle(s) raison(s) est-elle renouvelée à ce moment précis ?
Matthieu Chillaud : Cette demande est effectivement très ancienne et il est vrai que ce qui s’est passé en Ukraine a conféré à celle-ci une légitimité manifeste. Je pense qu’il y a deux dimensions à cette problématique. La première est stratégique : un rapide coup d’œil sur la carte ci-dessus démontre que si les Russes voulaient attaquer avec des armes classiques les trois pays baltes, ils n’auraient aucun problème et cela même si des troupes permanentes de l’Otan étaient installées sur le territoire. Les pays baltes ne disposent d’aucune profondeur stratégique et seraient aussi facilement que rapidement occupés.
La deuxième est psychologique : chacun des trois pays baltes a le sentiment que la présence de soldats de l’Otan sur leur territoire, aussi infime soit-il, aurait un effet multiplicateur de puissance tandis que pour les Russes, voir des soldats de l’Alliance atlantique dans les trois pays aurait probablement un effet psychologique bien plus important que combattre des soldats estoniens, lettons ou lituaniens. Je vous rappelle que l’expert américain Zbiegniew Brzezinski en début d’année plaida devant le Congrès US pour que les Américains pré-positionnent dans les pays baltes des troupes, peu nombreuses pour qu’elles ne provoquent pas la Russie, mais de façon suffisamment ostentatoires pour bien montrer à celle-ci la détermination de l’OTAN. Nous sommes dans la même logique. Souvenez-vous, en outre, des conclusions du Sommet de l’Otan au Pays de Galles : le flanc Est de l’Alliance atlantique, notamment dans la région de la Baltique, allait être renforcé par une force opérationnelle de 5000 hommes capable de se projeter dans les régions périphériques. Si cette force n’est certes pas stationnée de façon permanente dans les pays baltes, il n’en reste pas moins que l’on est à un cheveu d’accéder de facto aux revendications de ces derniers.
Les exercices militaires se sont multipliés ces derniers mois. L’OTAN organise actuellement en Estonie des exercices "Siil 2015" en Estonie, tandis que la Russie a organisé des manœuvres militaires dans la mer Baltique et plus récemment à la frontière estonienne avec 2000 hommes. La peur s’est-elle installée chez les populations Baltes ?
S’il n’y avait que ça. Il faut se souvenir des déclarations du Ministre britannique de la Défense Michael Fallon en février 2015 qui estimait que les trois pays baltes seraient possiblement les prochaines cibles de la Russie après que celle-ci eut annexé la Crimée. D’après lui, la menace posée par Vladimir Poutine à l'Europe était équivalente à celle de l'État islamique (sic). Toute une série d’événements n’ont pas manqué, non plus, d’attirer l’attention des commentateurs : l’enlèvement du policier estonien par les services secrets russes le 5 septembre 2014 à la frontière russo-estonienne – deux jours après la visite du Président Obama à Tallinn –, la décision de la Lituanie de publier un petit manuel de survie en cas d’attaque et de rétablir la conscription après qu’il eut été supprimé en 2008, l’organisation d’exercices militaires très importants de l’OTAN dans les trois pays (ainsi qu’en Pologne), etc.
Je reste, cependant, circonspect sur l’effet que cela a parmi les populations baltes. J’habite en Estonie depuis dix ans et je ne perçois pas de changements fondamentaux parmi les Estoniens. Je pense que cela est mutatis mutandis comparable à ce que l’on pourrait observer en Lettonie et en Lituanie. Il y a certes une inquiétude latente mais certainement pas de peur.
Les pays baltes ont pris leur indépendance depuis plus de 25 ans, pourquoi les tensions restent-elles aussi fortes entre les Etats Baltes et la Russie ?
Il existe toute une série de raisons imbriquées les unes dans les autres. Certaines sont très émotionnelles, d’autres sont plus pragmatiques. Par exemple, je soutiens depuis longtemps la thèse qu’il existe dans les trois pays baltes, depuis le rétablissement de leur indépendance, un réflexe machinal de méfiance vis-à-vis de la Russie et un automatisme de confiance vis-à-vis des ennemis de la Russie. En raison de ce syndrome de l’enfant battu – ils ont tout de même été annexés par l’Union soviétique en 1945 pour ne retrouver leur indépendance qu’au tout début des années 1990 –, associé l’adage voulant que "l’ennemi de mon ennemi, soit mon ami", certains voient en Estonie, en Lettonie et en Lituanie ce qui s’est récemment passé en Ukraine – comme ce qui s’était en Géorgie avant, voire en Tchétchénie – comme une illustration de l’impérialisme russe à l’œuvre contre une volonté d’émancipation nationale, dont celle-ci est alors la victime comme leur pays de 1945 le fut de leur variante soviétique. On soutient tous aimuths tous les pays hostiles à la Russie ce qui ne peut qu’irriter cette dernière. Pour la Russie, il y a une crainte viscérale que les pays baltes contribuent à ce sentiment d’encerclement de puissances hostiles, en premier lieu l’Otan, perception qu’elle a depuis une vingtaine d’années. Ce sentiment s’exacerbe depuis que les pays baltes ont rejoint l’Otan. Cela risque de s’empirer si les pays baltes accueillent des bases permanentes.
Comment la Russie de Poutine s’y prend-elle pour déstabiliser les pays baltes ? Les déstabilisations russes visent-elles les pays baltes ou plutôt l’OTAN ? Pourquoi ?
Si l’on s’accorde à estimer qu’une attaque armée classique des forces russes au travers des frontières baltes – voire finlandaise – est très peu probable, la crainte partagée par les responsables baltes est bien celle d’actions subversives menaçant leur stabilité interne et leur intégrité territoriale. On parle beaucoup d’hybridité de la menace pour parler de ce que pourrait être le casus belli. Combiner des moyens militaires classiques à des cyberattaques et à de la propagande afin de rendre "indolore" une attaque armée a été le moyen utilisé en Ukraine.
On craint que les Russes utilisent la même technique dans les pays baltes.
Les déstabilisations russes, en tout cas, ne visent pas seulement les pays baltes mais il est bien plus facile de s’attaquer à ces derniers plutôt qu’aux autres pays membres de l’Alliance. Je vous rappelle que chacun des trois pays, certes à des degrés divers, accueillent d’importantes minorités russophones. Les utiliser comme relais est tentant. Pour autant, il ne faut pas s’imaginer que ces populations russophones constituent un bloc homogène aux ordres de Moscou.
En quoi le fait que les pays baltes soient membres de l’OTAN et de l’Union européenne change tout par rapport à la situation en Ukraine ? Est-ce suffisant pour dissuader la Russie de réaliser un coup de force dans les pays baltes ?
On peut certes jouer aux Cassandres mais j’ai beaucoup de mal à imaginer que la Russie, les pays baltes et l’Otan ne se considèrent pas comme des entités rationnelles lesquelles défendent avec raison leurs intérêts de sécurité.
Les trois pays baltes sont membres de jure et de l’Otan et de l’UE. Cette qualité leur garantit une solidarité politico-stratégique. S’attaquer à un pays baltes impliquerait un casus fœderis, l’OTAN se devrait de porter assistance au(x) pays attaqué(s). Pour Moscou, le jeu n’en vaut a priori pas la chandelle. Par contre, tester la solidarité de l’Alliance est tentant pour une Russie inquiète, voire alarmée, à l’idée que l’OTAN après avoir intégré en son sein ses anciennes provinces baltiques, accueille l’Ukraine. Avancer ses pions sans jamais franchir la ligne rouge, geste qui serait suicidaire, est précisément ce que recherche Moscou. Quant à l’UE, c’est une entité politico-économique qui n’est pas une alliance militaire. Au risque d’utiliser une litote sibylline, je ne vois pas l’UE ne rien faire si les pays baltes étaient attaqués.