Note de l'éditeur concernant ce n° :
L’édito :
« Y a-t-il ici quelqu’un qui a été violé et qui parle anglais ? » Un journaliste belge, micro à la main, posait cette question aux rescapés d’un massacre en Afrique centrale rassemblés dans un hangar bondé. Il fallait à tout prix au jeune reporter radio « un son » et cette contrainte l’empêchait de se rendre compte du cynisme et de l’absurdité de sa question. Témoin de la scène, le journaliste anglais Edward Behr en fit le titre de ses mémoires.
La leçon est éternelle. Un rapport interne du New York Times a provoqué en mai 2014 le départ de la directrice de sa rédaction. Il juge sévèrement le retard pris par le plus célèbre quotidien du monde face à l’offensive de la nouvelle génération de sites d’information.
Comme tout rapport écrit par des gens intelligents, certaines pistes de réflexion sont stimulantes, notamment les pages qui concernent les liens avec les lecteurs. Mais comme tout rapport écrit par des gens intelligents qui cherchent à faire du business, ce rapport cherche surtout à trouver le moyen de monétiser l’audience. Il prône ainsi un rapprochement entre la rédaction et le marketing. Il encourage l’industrialisation des procédures et le développement de toutes sortes de produits dans lequel le journalisme se dissout dans la communication et la publicité.
« Y a-t-il ici quelqu’un qui a filmé son viol pour faire le "buzz" ? Y a-t-il un thème qui pourrait faire l’objet d’un article financé par une marque ? Quelle suite ajouter à un événement qui a généré des millions de requêtes Google ? » Telles sont les nouvelles questions que se posent chaque jour devant leurs écrans les héritiers modernes du reporter belge perdu dans son hangar.
La crise du New York Times montre la puissance du changement en cours. Il favorise le déni de la réalité et la fabrication de fictions journalistiques tissées de « feuilletons qui passionnent les lecteurs », de « sujets positifs », d’« articles viraux », de « thèmes qui marchent ».
Ce numéro d’été est un nouvel antidote à l‘information marketing. Pour seule boussole, les auteurs de XXI ont la passion et l’engagement. Ils racontent le monde sans le faire entrer dans des cases préétablies, en se laissant surprendre. Ils pratiquent le journalisme comme un artisanat, polissant chaque phrase, soignant chaque bulle ou chaque image.
Pour mesurer la différence, il vous suffit de pratiquer le « test Google ». Cela ne vous prendra que quelques minutes, et c’est instructif. Après avoir terminé la lecture de votre revue favorite, prenez un par un les sujets de ce numéro.
Tapez par exemple « Lancaster » sur la page d’accueil de Google. Vous verrez apparaître des marques de luxe à foison, un acteur et un hôtel, mais rien sur la tête de pont de la Chine aux États-Unis. Sans ce numéro d’été, un des visages du XXIe siècle vous aurait échappé.
Tapez « Les Petits Bonheurs ». Vous tombez sur une page fixe, avec une photo de groupe, l’e-mail et le téléphone d’une association parmi un million en France. C’est tout. Et pourtant que de richesses révélées par le récit de Sylvie Caster !
Tapez « Kevin Doyle » et vous découvrez un footballeur irlandais, un acteur de la série Downton Abbey, un danseur de « step dance » et un producteur de musique. Il faut passer trois pages de résultats pour dénicher la mention d’un journaliste installé au Cambodge. Alors que c’est lui le « Kevin Doyle » le plus fascinant.
Vous pouvez même inscrire « Pascal Lamy », l’ancien négociateur du FMI, dont le nom génère plus d’un million et demi de résultats sur Google. Les mots clés les plus recherchés sont « Pascal Lamy Premier ministre », « Pascal Lamy salaire », « Pascal Lamy Hollande ». L’enquête de XXI raconte une tout autre histoire.
Notre algorithme, c’est le flair des auteurs et leur force de conviction. Nos acheteurs, c’est vous. Notre moteur de recherche, c’est le réel. Loin du test Google, le journalisme transmet les couleurs et les odeurs, les demi-teintes et les subtilités, les liens tissés ou recousus. Ce qui échappe au radar, ce qui ne se met ni en code ni en équation. La vie, en somme.
Laurent Beccaria
et Patrick de Saint-Exupéry
France Info - CHINAMERICA (émission du 13 juillet 2014)
Comme tous les dimanches, France Info accueille XXI, la revue du grand reportage : cette semaine, elle vous propose une plongée dans la ville sinistrée de Lancaster, en Californie, dans l'Ouest américain.
Christelle Gérand s’est rendue à Lancaster, ville de l’Ouest américain, près de Los Angeles. Une ville sinistrée, qui cumule les records liés à la pauvreté. Le maire a convaincu une entreprise chinoise d’y installer une usine de bus électriques. Pour cela, l’édile ne s’est embarrassé ni des convenances, ni des lois, faisant de Lancaster "une survivance du Far West du XIXe siècle."