Réalisation de la cartographie de ce nouveau numéro de XXI.
Illustration : couverture du n° 29 (Hiver 2015) de la revue XXI
Note de l'éditeur concernant ce n° :
C'est une petite phrase perdue au milieu d’un magazine qui soudain accroche l’œil. Le rédacteur en chef du Mainichi Shimbun (« le journal de chaque jour »), le plus ancien quotidien du Japon, y donne une interview insipide. Si le pays de la technologie et du futurisme est le paradis de la presse prospère, ses dirigeants semblent les inventeurs de la langue de bois : pas un adjectif ne dépasse. Mais quand le grand reporter Alain Louyot demande à Hajime Ogawa, heureux responsable de ce quotidien aux 3 350 000 exemplaires diffusés chaque jour, s’il a été contraint de réduire les effectifs de la rédaction, le Japonais s’offusque : « Non, heureusement ! Les journalistes constituent le capital le plus précieux d’un titre, un véritable trésor » (The Good Life, décembre 2014).
« Un véritable trésor. » Ces mots sonnent étrangement à notre oreille. Depuis dix ans, les rédactions des journaux occidentaux sont atteintes par une hémorragie spectaculaire. Elles subissent des réductions de 20 à 50 % de leur effectif. D’une seule voix, leurs directions critiquent l’inadaptation et l’inefficacité de rédactions recrutées au temps où la publicité tombait du ciel et où les lecteurs se multipliaient selon le principe de la division cellulaire. Elles sont affublées de tous les maux : pléthoriques, peu productives, rétives au changement, accrochées à leurs privilèges. Elles subissent le sort de toutes les entreprises de main-d’œuvre, ajustées au plus près des comptes d’exploitation, concurrencées par la technologie ou les algorithmes.
Pris dans l’effet ciseaux d’une baisse des revenus et d’une augmentation des coûts, nous avons perdu de vue l’évidence. À quand remonte la date où, pour la dernière fois en France, une rédaction a été qualifiée de « trésor » ?
L’essentiel des reportages de XXI est écrit par des auteurs extérieurs. C’est le principe même de ce journalisme narratif que nous vous proposons, ce travail au long cours, mêlant texte, bande dessinée et photoreportage. Forts de la souplesse que procurent la technologie et le télétravail, nous aurions pu compléter chaque numéro par l’apport de journalistes free-lance, de secrétaires de rédaction ou de graphistes interchangeables chaque trimestre.
Financièrement, ce dispositif aurait été avantageux. Mais dès que vous nous en avez donné les moyens, grâce au succès des revues XXI et 6Mois, nous avons recruté un noyau de permanents et une vraie rédaction.
Parce que c’est un trésor.
Rue Jacob, la rédaction de XXI et 6Mois compte onze membres, dont sept journalistes. C’est une toute petite rédaction par rapport aux hebdomadaires ou aux quotidiens. Mais un Huron y retrouverait le même assemblage de talents écarlates et de caractères trempés que dans les « grandes rédactions ».
Pour s’intégrer à une rédaction, il faut avoir le goût des autres et le respect de ceux qui ne pensent et ne vivent pas comme soi. L’émulation est vitale : le talent appelle le talent. Ça râle et ça discute. Ça s’exclame. Ça va, ça vient. Chaque semaine, plusieurs chaises restent vides : l’un est en Indonésie, l’autre à Roubaix ; l’une au Congo, l’autre à Montpellier. Au retour, ça raconte, ça débat. Ça n’est pas d’accord. Il y a des discussions stupides sur des détails, des débats sans fin sur une phrase, une idée. Mais rien n’est accessoire, chaque mot est important.
Vous retrouvez leurs signatures dans les pages d’actualité, dans les « Pour aller plus loin » ou sur le site de XXI, refait à neuf (très beau – allez le voir ! – et dites-nous ce que vous en pensez). Tous les numéros comportent également au moins un reportage ou un entretien au long cours réalisé par un membre de la rédaction, parfois davantage.
Comme XXI est une revue neuve, sa rédaction est jeune. Saison après saison, nous voyons leur plume s’affiner, leur curiosité s’aiguiser, leurs doutes grandir. Leurs personnalités colorent peu à peu ces pages, qui bientôt deviendront d’abord les leurs. Dans quelques années, nous pourrons glisser que nous avons connu Mathilde Boussion, Marion Quillard, Léna Mauger, Mathieu Palain ou Victoria Scoffier à leurs débuts. Et un murmure d’étonnement accueillera notre sourire.
Une rédaction est comme la quille d’un bateau : invisible à fleur d’eau et pourtant indispensable. Oui, un trésor.
Laurent Beccaria et Patrick de Saint-Exupéry