Les Maisons de l'Islam. L'incroyable diversité du monde musulman. 12 récits, photos et bande dessinée. Réalisation de la cartographie de ce hors-série de XXI.
Depuis quatorze siècles, le monde musulman partage un même livre. Du Coran, « récitation » de la parole divine, sont nées les traditions. Que la mondialisation oppose. Du Pakistan à la Syrie, de l'Égypte au Soudan, du Yémen à la Turquie, c'est un monde qui se confronte à lui-même. Pour ce hors série, XXI a rassemblé ses meilleurs reportages consacrés à l'Islam. Une anthologie à retrouver dès aujourd'hui chez votre libraire !
Éditorial :
Derrière la résistance de la société française à accepter de plain-pied que Moustafa, Hossine ou Mohamed - ce dernier étant un prénom les plus attribués - soient traités à l'égal des Hugo, Louis, Jules ou Arsène, il y a un "secret de famille".
L’expression est du journaliste et écrivain français Slimane Zeghidour. L’origine de ce secret de famille remonte à la prise d’Alger en 1830 ; il se noue en 1871 avec la transformation de ce vaste territoire en trois départements français avec le même statut que la Creuse ou le Loir-et-Cher ; il connaît une étape décisive en 1962 avec l’indépendance et les accords d’Évian ; il se prolonge avec les enfants de l’immigration venus de l’autre rive de la Méditerranée.
Ce « secret de famille » s’énonce en une phrase : pendant près d’un siècle, sur quatre générations, des millions de Français ont été privés de droits politiques. Pour justifier cette inégalité de traitement, contradictoire avec l’idéal universaliste, le Second Empire puis la République ont mis en avant… la protection de l’islam.
Quand, le 24 octobre 1870, le décret Crémieux accorde la citoyenneté française aux 37 000 juifs d’Algérie, il précise aussi que « l’indigène musulman est français, néanmoins il continuera à être régi par la charia ». Des millions d’Arabes et Berbères, français mais appelés officiellement « indigènes », sont ainsi dotés d’une citoyenneté musulmane. Le syllogisme est poussé jusqu’à l’absurde puisque même un Arabe converti au catholicisme ne peut acquérir la pleine citoyenneté française… parce qu’il est musulman ! CQFD.
De 1881 à 1945, un « Code de l’indigénat », qualifié par les historiens du droit de « monstre juridique », s’applique dans les trois départements français d’Algérie. Il comprend vingt-sept infractions spéciales, dont « le départ du territoire de la commune sans permis de voyage », « la réunion sans autorisation pour fête religieuse » ou « l’acte irrespectueux ».
L’État célèbre alors les bachaghas, caïds et chaouchs, ainsi que « les structures traditionnelles indigènes ». Dans un joyeux chaos intellectuel, la République invoque même le secours d’Allah (en arabe !) sur les écussons et les blasons de ses soldats, voire même sur certains billets de banque, sans que jamais le Parlement donne le droit de vote aux Arabo-Berbères, « non pleinement français ».
Même l’abrogation officielle du Code de l’indigénat après la Seconde Guerre mondiale n’ouvre pas sur une citoyenneté de plein droit. En 1948, un « double collège » est institué : une voix de « Français d’Algérie » pèse autant que huit voix de « Français musulmans ».
Slimane Zeghidour conserve les cartes d’identité de son grand-père et de son père avec les mentions officielles d’« indigène », puis de « Français musulman », puis de « sujet français musulman non naturalisé » et enfin de FSNA « Français de souche nord-africaine ».
La contradiction éclate avec la guerre d’Algérie, mais l’ambiguïté demeure. Il existe une difficulté persistante à nommer ces « Français de la diversité ». En cinquante ans, les médias et les dirigeants politiques français ont successivement utilisé les termes de « harkis » (les supplétifs engagés au sein de l’armée française, qui ont pu gagner l’Hexagone après 1962, et ont été regroupés dans des camps officiels), puis de « jeunes harkis » pour leurs enfants et même leurs petits-enfants, et enfin de « beurs », « jeunes des quartiers » ou encore de « Français issus de l’immigration ».
Immanquablement un Français à la peau basanée se voit demander « de quelle origine il est » comme si le fait de naître à Villeurbanne, Villeneuve-sur-Lot ou Grigny ne suffisait pas. En janvier dernier, au 20 Heures de France 2, David Pujadas a pu lancer benoîtement un reportage en parlant d’un « musulman marié à une Française ». L’approche coloniale façonne encore notre inconscient collectif.
Les secrets de famille sont faits pour être levés et dépassés. Mohamed, Moustafa, Slimane comme Houria, Salima et Fatima sont français lorsqu’ils sont nés sur notre sol ou qu’ils ont été naturalisés. Ils peuvent être musulmans ou pas, c’est leur choix. Rien ne les sépare des autres Français. Il fallait l’écrire avant de poser un regard apaisé sur ces « maisons de l’islam » à travers le monde .